Focus

Une ouverture progressive, beaucoup de questions en suspens

Depuis le 8 février, jusqu’à 20 % des effectifs de l’université peuvent être accueillis sur site. Le retour – très attendu par certains – se fait en ordre dispersé, car les conditions et les envies varient d’une composante, et même d’un individu à l’autre. Et s’apparente à un casse-tête d’organisation.

« Je suis très heureuse de vous voir en vrai ! » lance à ses cinq étudiants de Travaux dirigés (TD) Séverine Blin (chargée de recherche CNRS), sous la lumière tamisée et les bustes de plâtre du musée Adolf-Michaelis. Ils sont cinq à avoir bravé le froid de cette fin janvier pour assister à leur première séance « en présentiel » depuis des mois. « Hormis une heure de remise de copie avec le doyen, début janvier, tout était en visio », précise Charline, « bien contente » de revenir un peu physiquement sur le campus. « Je suis malentendante, les sons sont déformés par les appareils et l’ordinateur. » Un présentiel « indispensable » pour Séverine Blin, qui a sauté sur l’occasion dès qu’elle s’est présentée, adaptant du même coup une idée de séance au musée des moulages « que j'avais eue il y a quelques années. Dans notre discipline, l’archéologie, qui privilégie la pratique par définition, il est indispensable d’avoir un rapport direct aux vestiges, dans le cadre d’un musée ou non, de les mettre en perspective. Et puis, les étudiants ont besoin de se voir, d’échanger sur leurs perspectives en master. Toutes choses qui ne peuvent se faire en visio. »

Plus d’appartement à Strasbourg

Depuis le début de l'année, la porte s’est entrouverte pour un retour plus large au présentiel : déjà permis depuis janvier, les groupes de 10 pour les plus fragiles, les TP et les TD en demi-jauges ont été inclus dans un dispositif plus large, permettant à 20 % de l’effectif total de l’université d’être présent simultanément sur le campus. Soit, théoriquement, deux demi-journées par étudiant. Le dispositif de tutorat Répare s’y ajoute. A la Faculté de sciences économiques et de gestion (Fseg), qui est celle qui en a recruté le plus (76 tuteurs), « nous avons laissé le choix aux étudiants de licences 1 et 2 volontaires pour en bénéficier de suivre celui-ci en distanciel ou en présentiel », explique Amélie Barbier-Gauchard, vice-doyenne et coordinatrice du dispositif pour sa faculté.

Force est en effet de constater que sur cette question, les ressentis sont très personnels, en fonction de tout un tas de critères, de la peur de la maladie aux conditions matérielles de retour à Strasbourg. « De fait, certains, étudiants comme enseignants, s’accommodent très bien de la situation », note Benoit Tock, chargé de mission Formation. « Lorsque nous avons interrogé nos 1 500 étudiants de licence, début janvier, sur leur ressenti, nous avons constaté d’après les réponses de 300 d’entre eux qu’entre deux-tiers et la moitié préféraient rester en distanciel », poursuit Amélie Barbier-Gauchard.

Les remontées quotidiennes des composantes sur leurs taux de présence d’étudiants permettent aussi de noter que toutes les composantes ne se saisissent pas de la même manière de la possibilité de faire revenir 20 % de leurs effectifs : « Sans surprise, ce sont surtout celles où la place de la pratique est importante, comme les IUT et les écoles, à l’image du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (Cuej), qui s'en saisissent le plus, reprend Benoit Tock. Cela nous permet de faire des arbitrages pour arriver, doucement, au taux de 20 % de présence. » Mais, de fait, « on sent que pour certains, seul un retour "à la normale"  improbable à court terme  serait la condition sine qua non d’un retour sur site ». A ce titre, le « dispositif de 20 %, même très positif, ne révolutionne clairement pas les choses, mais vient plutôt compliquer une organisation déjà très incertaine ».

« Pour nous, cela ne change pas grand-chose, reconnaît Marc Reiser-Deligny, responsable administratif de la Faculté de physique et ingénierie, dont l’équipe accueille avec soulagement la possibilité de revenir au moins un jour par semaine sur site. « Une large part de l’enseignement de la faculté étant basé sur le "learning by doing", beaucoup de TP avaient continué de se tenir. Et en ajoutant quelques TD supplémentaires aujourd’hui, nous devons facilement atteindre 20 % de présence de notre effectif. » Reste que la répercussion de ces consignes mouvantes repose sur des enseignants « de bonne volonté, qui se plient en quatre pour leurs étudiants, mais sont fatigués de ces changements d’organisation réguliers qu’on leur demande, à moyens constants. Il ne faudrait pas qu’on nous rajoute encore de nouvelles modalités alors que notre fonctionnement commence tout juste à se stabiliser ! »

Hybridation

Des enseignants qui se retrouvent aussi confrontés à une nouvelle contrainte, et non des moindres : celle de l’hybridation de leurs cours. « C’est vraiment la situation la plus complexe, témoigne Benoit Tock, dont l’un des cours in situ se déroule juste après une séance d’option en ligne. Mes quinze étudiants physiquement présents sont bien contents, et moi aussi, mais la grande majorité de ceux qui ont suivi la séquence précédente n’ont pas d’autre choix que de rester derrière leur ordinateur. Ça me demande au bas mot 10 minutes d’installation des deux ordinateurs et du vidéoprojecteur ! » Même si un effort est fait pour éviter ce genre de situation, la complexité des emplois du temps est telle que ce n’est pas toujours possible…

Devant l’incertitude de la situation, les étudiants sont aussi nombreux à avoir rendu leur appartement pour rentrer chez leurs parents, à quelques heures de Strasbourg, ailleurs en France ou à l’étranger. Certains ont dû prendre un travail, d’autres s’accrochent à leur job étudiant. Dans le TD de Séverine Blin, Julian témoigne : « J’ai gardé mon appartement à Strasbourg, mais j’ai quand même préféré retourner vivre chez mes parents, à 80 km ». Il a donc dû prendre le train à 6 h 30 pour assister à ses deux heures de TD, à 8 h. S’il ne baisse pas les bras, ce n’est pas le cas de tout le monde autour de lui. « On a un groupe Whatsapp de promo et un Drive pour se partager des documents, on prend de nos nouvelles les uns des autres, reprend Charline. On s’inquiète pour une de nos copines de promo. Elle aurait dû venir aujourd’hui, mais elle n’est pas là… » Séverine Blin témoigne d’une angoisse palpable : « Je commence déjà à recevoir des candidatures pour des stages de fouille alors que d’habitude, ça commence plutôt en mars. On sent qu’ils s’inquiètent de l’avenir. » Gauvain, étudiant lui aussi en archéologie, préfère de son côté voir le verre à moitié plein : « On a de la chance d’être en L3, cet objectif de décrocher la licence nous permet de garder la motivation ». Mais il ne peut s’empêcher de glisser : « A la bibliothèque, personne ne sourit. C’est une atmosphère très pesante… »

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