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Témoignage : Lise a dû écourter sa mobilité au Liban

Je suis étudiante en 3e année de licence à l’Université de Strasbourg. Pour mon dernier semestre de licence de cinéma, j'ai choisi de partir au Liban dans une volonté de sortir de ma zone de confort mais surtout après une série de heureux hasards.
Je m’y suis sentie bien et je m’y suis fait rapidement des amis avec qui j'ai profité pleinement de la vie libanaise. Pourtant, après un mois et demi à baigner dans un univers chaleureux rythmé par les journées à l’université, celles passées au soleil, les visites et les sorties nocturnes, mon université a fermé ses portes pour un délai d'une semaine à cause du coronavirus. Une semaine de vacances en perspective et la conversation de groupe s’enflamme, nous prévoyons déjà nos soirées et nos journées à la plage. Mais les semaines se sont enchaînées. Le virus est arrivé en Iran puis les premiers cas ont été déclarés au Liban. On a commencé à tourner en rond et à regretter notre joli campus et les cours. Puis le confinement libanais a démarré. A ce stade, on n'a pas réalisé l’ampleur de ce qui arrivait. Je suis partie quelques jours à la montagne avec mes amis, pour profiter d’un peu d’air frais et m’éloigner de l’univers anxiogène et pollué de la banlieue de Beyrouth. C'est pendant ce week-end que le président français a annoncé la mise en place du confinement en France.
Je me rappellerai longtemps de ce soir là : tous autour d’un dîner mangeant en silence et branchés sur France Info nous attendions religieusement l’annonce du président. Sans trop d’étonnement, le confinement a été annoncé mais la fermeture de l’espace Schengen aussi. Les téléphones ont beaucoup sonné. Il fallait rassurer nos parents qui commençaient à s’inquiéter et il fallait aussi que l’on se rassure entre nous. Personne ne voulait rentrer. Nous étions bien au Liban et c’est ce que nous avons essayé de faire comprendre à nos proches. Mes parents se sont enflammés quand je leur ai annoncé la fermeture prochaine de l’aéroport de Beyrouth. Lise tu rentres. Je ne rentre pas ? Je rentre ? Mon cœur vacille et je suis face à un dilemme comme jamais je n’en ai eu. Couper court à une mobilité que je prépare depuis plus d’un an et rentrer en France ? Rester au Liban mais ne pas savoir quand je peux rentrer ?
Pierre Litzler, le doyen de la Faculté des arts, m’a contacté. Il m’a apporté un soutien nécessaire tout au long de cette période avec un suivi téléphonique régulier et indéniablement rassurant. Non sans mal, j'ai décidé de rentrer. Mon père s’est activé de l’autre coté du monde. Les prix étaient aberrants mais un billet a été pris. J'avais deux jours pour faire mes valises, dire au revoir à mes amis, à un pays que je n’aurais vu que superficiellement. Je n’avais pas envie de partir et je comptais bien utiliser ces derniers moments pour profiter de mes amis, faire mes valises avant de décoller vers une Europe confinée. Pourtant, tout ne s'est pas passé comme prévu et suite à la fermeture de l’espace Schengen, ma correspondance jusqu’à Strasbourg a été annulée. Il me paraissait impossible d’être bloquée à Amsterdam : quitte à être bloquée autant l’être chez moi, au Liban, bien entourée. L’aéroport de Beyrouth était fermé, la France était confinée : j'étais officiellement au Liban pour une durée indéterminée. Les semaines et les annonces se sont enchaînées, au Liban comme en France. Du coté libanais, une mobilisation générale est organisée et un couvre-feu a été mis en place. Notre liberté était de plus en plus limitée. Nous sortions de moins en moins, et la panique était de plus en plus présente. Malgré tout, dans ma bande d’amis la bonne humeur était toujours au rendez vous. Contrairement à d’autres, l’anxiété ne nous submergeait pas et si certains pensaient à rentrer ce n’était pas par peur mais par choix. Le choix d’être auprès de nos proches à l’orée d’une pandémie mondiale plutôt qu’à l’autre bout du monde, au Moyen-Orient.

Mercredi 1er avril. L’ambassade m’a appelée : « Êtes-vous toujours intéressée par un vol commercial entre Beyrouth et Paris ? » J'ai répondu favorablement, enclenché les démarches, un deuxième billet a été pris : départ deux jours plus tard, direction Paris où mon père et mon copain devaient m'attendre. J'ai profité de ces derniers jours dans un pays que je quittais amèrement. A l’aéroport, l’ambiance était pesante, certains pleuraient, d’autres rigolaient, d’autres affichaient des mines sombres, des étudiants mais aussi des familles avec des enfants étaient présents. Moi je faisais le pitre, parce que j'étais stressée, parce qu’à ce stade je ne savais toujours pas si je faisais le bon choix. Pourtant, après une température trop élevée et donc 15 minutes d’attente avant de pouvoir aller enregistrer mes bagages; 75$ de supplément bagages s’ajoutant à un prix de billet déjà aberrant pour ce que le président annonçait être un rapatriement ; des cigarettes fumées dans les toilettes de l’aéroport fermé de Beyrouth et des suffocations sous un masque FFP2, j'ai décollé du sol libanais.
J’ai souvent pris l’avion. Longs courriers, courts vols... mais ces 4 h 35 entre l'aéroport Rafic-Hariri et celui de Roissy-Charles-de-Gaulle m’ont paru être les plus longues de ma vie. Toujours tiraillée dans un dilemme cornélien, je n’attendais que l’atterrissage, le moment de non-retour, pour me fixer dans cette nouvelle étape : un confinement en France. L’arrivée est pleine d’émotions, je suis sur mes réserves, deux jours que je ne dors que très peu et pourtant impossible d’arrêter de parler dans la voiture qui me ramène à Strasbourg, impossible non plus de fermer l’œil. Nous arrivons à 2 h du matin en bas de mon appartement. Mon père me dépose dans l'appartement que j'occupe avec mon copain car je n’habite plus au logement familial. Dernier effort pour monter mon déménagement libanais jusqu’au quatrième étage sans ascenseur où nous habitons et, ça y est, je suis de retour dans l’appartement que j’ai laissé deux mois et demi plus tôt. Je mets plusieurs jours à me rendre compte que je suis de retour et pour longtemps, plusieurs jours aussi à défaire mes énormes valises qui, de plus, ont été faites à la va-vite.
Je garde longtemps la tête au Liban et je pense même qu’à l’heure où j’écris ces mots, 18 jours depuis mon retour, j’y suis encore. Il a été difficile pour moi de me faire à l’idée que je n’allais sûrement pas y retourner dans le cadre d’une mobilité, même s'il est certain que j’y retournerai. Après le dilemme du retour, je me retrouve face à une deuxième difficulté : reprendre mes habitudes strasbourgeoises - que j’avais allègrement laissées derrière moi - et faire, d’une certaine façon, comme si le Liban n’était jamais arrivé. Le retour est difficile, même si je suis chez moi avec mon copain que je n’avais pas vu depuis plusieurs mois. En plus, je suis encore les cours libanais en ligne et il est difficile pour moi de faire le deuil de ce pays tout en gardant un lien si tangible avec. Mais j’y suis. Les jours passent, le deuil d’une mobilité qui ne touchera jamais à sa fin sera fait d’une manière ou d’une autre. Je prends des nouvelles du Liban tous les jours que ce soit via les applications de nouvelles locales que je n’ai toujours pas eu à cœur de supprimer ou par mes amis restés là-bas. Une chose est sûre, ma mobilité gardera un amer goût d’inachevé mais je m’en rappellerai.