Communauté

Kévin Rollet : appelez-le Jør !

Quand il n’est pas occupé à faire pousser des cristaux de protéines dans son laboratoire de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC), Kévin Rollet s’applique à vivre comme le faisait un Viking au 9e ou 10e siècle de notre ère. Au « jeu sérieux » de l’archéologie expérimentale, c’est le combat qui lui plaît le plus ! Rencontre avec le guerrier scandinave caché derrière le placide jeune doctorant.

Cheveux et barbe fournis, tee-shirt noir floqué, veste en cuir : plus qu’à un style musical, le look de Kévin Rollet fait référence à une période historique. En témoigne l‘épais bracelet de métal à son poignet, gravé d’une roue solaire. Un symbole païen, « souvent associé aux Vikings ». C’est celui du groupe Vestrgarð Herlið, dont il fait partie depuis un an. Entré comme simple « Nyr Blòd » (postulant), Kevin y est aujourd’hui « Boendr » (homme libre) – statut qu’atteste le bronze de son bracelet. « On y gravit les échelons, jusqu’au chef, le seul autorisé à porter de l’or. » Ce chef, c’est Eir, alias Pierre, un ami qui a introduit Kévin dans la troupe… Kévin, ou plutôt Jør, son nom viking.

Son premier contact avec un groupe de reconstitution historique date de 2013 : « J’ai visité un village, au nord de Strasbourg. Edda, neuf mondes, raids et invasion … J’étais déjà bien imprégné des récits et de la mythologie scandinaves. » Quelques années plus tard, au moment de la création de son propre groupe, Pierre le contacte. Mais Kévin est alors en échange au Québec, pour son master. « Dès mon retour, je les ai rejoints ! », témoigne le passionné d’histoire.

Campements, feu de bois et couture

Depuis, une grande partie de son temps libre, il le passe à monter des campements de toile, à dîner autour d’un feu de bois ou encore à coudre ses vêtements. « Ça m’en a pris, des soirées, pour ma dernière tunique en cuir ! » sourit-il. Lui, son truc, c’est surtout de manier la hache de guerre, tout en se protégeant derrière son bouclier. Mais « à la fin des combats, on se retrouve tous autour d’une bière… artisanale de préférence ! Un fort esprit de communauté, où on coupe les portables, « ce qui permet de vraies interactions ! » Des Vosges au Jura, de la Bourgogne au Luxembourg, ils se regroupent le temps de week-ends prolongés, dès les premiers beaux jours.

Ils, ce sont les amateurs de reconstitution historique ou « archéologie expérimentale ». Ils sont des centaines, comme Kévin et les membres de Vestrgarð Herlið, à conjuguer leurs efforts pour que leurs campements collent au plus près à la réalité historique. « La marge d’interprétation est seulement autorisée quand les sources sont muettes. »

Pour le combat aussi, une marge est laissée à l'interprétation, même si une étude attentive des sources « nous permet de supposer fortement que nos méthodes de combat sont similaires à celles des Vikings ». Bridge fight (combat sur pont-levis), affrontement en ligne, cris de ralliement en ancien norrois ou construction de boucliers ronds font le bonheur de la troupe. Règle suprême : respecter les us et coutumes d’une période bien délimitée, « entre 780 et 1050, 1100 tout au plus ».

Rassemblement au sommet

Des sources qu’il convient toutefois de traiter avec distance. « On ne nie pas que les Vikings pouvaient être violents. Mais les plus prolixes sont les religieux, précisément victimes des raids des Vikings... » qui savaient aussi faire preuve d’une grande finesse, dans leur artisanat par exemple. Kévin, écumeur de brocantes, aime ainsi à se voir comme un marchand, à l’image de ce peuple.

Communauté hiérarchisée, culte des forts et du chef, tentation de l’autarcie… Ne seraient-ce pas des pièges qui guettent la reconstitution historique ? « C’est vrai que les derniers à avoir utilisé les symboles vikings sont les nazis », déplore Kévin. Mais il réfute en bloc tout idée d’amalgame. « Le groupe est ouvert à tous, et nous sommes une grande famille européenne ! » La preuve, cet été, Espagnols, Anglais, Maltais, Tchèques, Slovaques, Français, se retrouveront tous pour le combat « au sommet » de Wolin, en Pologne. Un événement que Kévin attend avec impatience : « J’espère enfin pouvoir m’acheter le casque en métal dont je rêve ! »

Au fait, quels points communs trouve-t-il entre biologie et histoire ? Après un temps de réflexion : « La recherche, le fait de retrouver la trace d’indices, derrière un miscroscope ou dans un texte ancien... Après tout, "histoire" vient du grec "enquête"… »

Parti depuis quelques jours à Leipzig, en Allemagne, pour sa thèse, Kévin l’assure : « Je vais rentrer au moins une fois par mois pour participer aux combats et à la vie de la troupe. Un bracelet de bronze, ça se mérite… »

Elsa Collobert

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