Focus

« La fusion n’était pas un but en soi, mais un commencement »

Série 10 ans de l'Université de Strasbourg, épisode 1. La démarche de fusion des trois universités strasbourgeoises aboutissait il y a 10 ans. Célébrée cette année à travers une série d’événements, inaugurée par les vœux du président, cette fusion est le résultat d’un processus ancien et pas toujours tranquille. Récit.

La scène se déroule un matin de janvier 2009, dans les couloirs de l’Institut Le Bel : « Une masse gris-beige déboule d'un angle, portée par deux jambes à peine remises du réveillon du jour de l'An. "Je cherche le bureau 128B", articule une voix derrière la pile de cartons. La scène se répète à tous les étages, seules changent la taille de la pile et le numéro du bureau. » Cette « grande migration » est racontée dans le premier numéro de L’Actu, le journal interne ayant accompagné la mise en place de la nouvelle université.

En janvier 2009 se noue l’aboutissement d’un processus enclenché des années auparavant. Dès 1991, avec la création du Pôle interuniversitaire européen, le socle d’un dialogue entre les trois universités strasbourgeoises1 est posé, à la faveur de la création de services communs, sport universitaire et médecine préventive en tête. Déjà, Strasbourg est pionnière en matière de coopération interuniversitaire (voir chronologie).

C’est à l’occasion des 10 ans du pôle, en 2001, qu’est pour la première fois évoquée la perspective d’une fusion entre universités. « On préférait alors parler de regroupement, le sujet était sensible », se souvient Bernard Carrière, président de l’Université Louis-Pasteur (2002-2007). Le dialogue, fructueux, se consolide, à l'occasion de l'élaboration de l'offre de formation Licence-Master-Doctorat (LMD) des trois universités2.

Communauté universitaire réunifiée

Mais pourquoi avoir voulu fusionner, peut-on se demander, l’idée n’étant pas à l’époque soutenue au niveau national ? « Pour créer une communauté universitaire réunifiée, en renouant avec la tradition universitaire pluridisciplinaire, héritée de l’université humaniste rhénane et des principes de von Humboldt, défend Alain Beretz, premier président de cette université « réunifiée ». On surmontait ainsi l’inconvénient de la réforme de 1968 (loi Faure), qui avait « parcellisé » les anciennes universités en sous-ensembles disciplinaires. »
« En regroupant les trois universités, on tire profit de la pluridisciplinarité, voire omnidisciplinarité, du site strasbourgeois », complète Bernard Carrière.

Surtout, poursuit-il, la (re)création de l'Université de Strasbourg répondait pour nous à la nécessité « d’anticiper plutôt que subir des évolutions inéluctables, pour faire face aux défis notamment de visibilité et de concurrence internationales ».

Difficultés, heurts, frilosité…

Strasbourg n’a aucun modèle auquel se référer, la fusion étant une première au niveau national. Rétrospectivement, la tâche à accomplir paraît immense - et elle l’était. « Nous nous sommes appuyés sur ce que permettaient les textes existants, pour constituer une nouvelle université », tempère Alain Beretz. Une fois actée la création de l’Université de Strasbourg par décret (août 2008), ses statuts sont adoptés et son premier budget de transition voté, en fin d’année 2008. Le « passage de témoin » fondateur a lieu en janvier 2009, avec la dissolution des trois anciennes universités.

Pour autant, le processus n’a rien eu du long fleuve tranquille : difficultés, heurts, frilosité, déstabilisations… se sont manifestés tout au long du processus. « Jusqu’au dernier moment, il y a eu des tentatives de blocage », se souvient Alain Beretz, qui évoque un « passage en force » lors de la dernière assemblée générale. « On marchait sur des œufs. En même temps, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, pour filer la métaphore ! »

Un des défis, et non des moindres : faire converger trois cultures universitaires différentes, celles d’établissements aux identités fortes, de taille et de poids différents. Côté Louis-Pasteur, une certaine « arrogance » et une « volonté de ne pas se mélanger » ont pu se faire jour. En face : la crainte « de se faire "manger" par plus gros que soi », évoque Florence Benoit-Rohmer, présidente de l’Université Robert-Schuman de 2003 à 2008. Nous comptions tout de même deux fois moins d’étudiants ! ». Pourtant élue sur un programme d’opposition à la fusion, elle a endossé le rôle très complexe de défenseuse de la fusion face à l’hostilité de son université : « On ne pouvait plus reculer, le ministère ayant fini par adhérer au projet ». « Les mêmes craintes du personnel se sont exprimées au sein de l'Université Marc-Bloch, complète Bernard Michon, son président d'alors, additionnées à l'opposition systématique et répétée du syndicat étudiant Unef. »

Nostalgie

Faire gagner les services en efficacité, en engageant une réflexion davantage orientée sur les missions : l’objectif s’est traduit par la construction d’un nouvel organigramme. Un chamboulement pour les personnels, « qui a pu générer des frustrations. Des erreurs ont pu être commises, reconnaît Alain Beretz. Pour autant, nous nous sommes efforcés d’aller vers le mieux-disant quant aux statuts des personnels, et de ne laisser personne au bord du chemin ». Même si un cabinet d’audit a été embauché sur cette question, « davantage aurait encore pu être investi, pour un meilleur accompagnement au changement ».

« "C’était mieux avant", c’est le discours qu’on entend encore parfois chez certains personnels » : une nostalgie que Florence Benoit-Rohmer « comprend. Les collegiums, système imaginé par nous et repris ailleurs, n’ont pas endossé le rôle qu’on avait imaginé pour eux, et les centres de décision sont aujourd’hui trop éloignés de la base. Pour moi, l’ambition affichée de remonter dans les classements internationaux n’a pas non plus été atteinte ». Elle ne nie pas pour autant les réussites de la fusion, au premier rang desquels « la rénovation du campus ! » Cette réussite éclatante, celle de l’Opération campus, et l’obtention de l’Initiative d'excellence, sont les premiers fruits des démarches communes initiées par la fusion. Une fusion concomitante à l'entrée en application de la loi relative aux Libertés et responsabilités des universités (LRU), ce qui n'a pas été sans difficultés supplémentaires. « Même si cette loi nous a donné le cadre adapté à nos ambitions », estime Alain Beretz.

Horizon européen

« Ne pas avoir fusionné plus tôt » : c’est le regret de Michel Deneken. Pour Bernard Michon, ce serait plutôt « de ne pas être allés assez loin dans le processus : la Faculté des langues aurait pu fusionner bien plus tôt. Sur la question de l’interdisciplinarité, il faut imaginer davantage de collaborations, par exemple entre neurochimie et psychologie. »

Reste que la fusion « ne doit pas être envisagée comme un aboutissement, mais comme un début, rappelle Alain Beretz. Il faut se laisser du temps, le "temps long" cher à Marc Bloch, pour consolider ce beau projet et le voir porter ses fruits, ce à quoi je me suis attaché pendant mes deux mandats. » Tous les anciens présidents interrogés s’accordent sur l’horizon futur de l’Université de Strasbourg, celui de l’Europe à travers Eucor - Le Campus européen.

Elsa Collobert

1 Université Robert-Schuman (droit et gestion)-URS, Université Marc-Bloch (sciences humaines et sociales)-UMB et Université Louis-Pasteur (sciences expérimentales et santé)-ULP
2 Alors présidées par Florence Benoit-Rohmer (Robert-Schuman), Bernard Carrière (Louis-Pasteur), François-Xavier Cuche (Marc-Bloch)

Bon à savoir

10 ans, 10 événements

Avec cet article consacré à l’acte fondateur de l’Université de Strasbourg, L’Actu inaugure une série qui reviendra sur 10 événements ayant marquée la décennie passée. Une série à retrouver tout au long de l’année 2019, dans les colonnes de votre journal interne. Prix Nobel de chimie de Jean-Pierre Sauvage, inauguration de la Maison universitaire internationale, obtention et confirmation de l’Initiative d'excellence… Ne manquez pas ce rendez-vous, pour vivre ou (re) vivre les moments forts de votre université !

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